Humble et spontané, voilà mon impression à propos du célèbre écrivain alexandrin Ibrahim Abdel Méguid, lors de mon assistance à un colloque à l’Institut Goethe, où il était présent. Ce colloque est intitulé « Moi et le cinéma », organisé par le réseau Amon pour les chercheurs sur le cinéma et la littérature, et faisant le point sur un livre du même titre de l’auteur, publié récemment par Dar Masriah Al-Lubnaniah.
Quand j’ai commencé à lire son livre « Moi et le cinéma », j’ai eu la même impression, surtout quand il a dit qu’il n’a pas eu l’audace de rencontrer Shadia, son héroïne préférée, malgré sa position d’écrivain célèbre. D’ailleurs, les digressions dans cette œuvre, marquée de spontanéité et de l’oralité, complètent cette idée. Il utilise même un langage intermédiaire entre l’arabe littéral et dialectal comme il le fera dans une conversation intime.
Il s’arrête sur un point pour en dire les détails, comme l’histoire d’un cinéma, d’une école qu’il a fréquentée ou son amour pour Shadia. Il voulait procéder dans un ordre chronologique, mais ces digressions le font aller un peu de l’avant ou reculer un peu en arrière.
Dans cette œuvre qui vient pour compléter la file de ses romans : La maison aux jasmins, L’autre pays , Personne ne dort à Alexandrie, Adagio et autres romans dont plusieurs ont été traduits en français et en anglais, il raconte sa passion pour le cinéma dès un âge précoce, énumérant les différentes salles de cinéma à Alexandrie- sa ville natale- comme El Nil, El Gomhoriah, El Helal, etc…, chacune ayant un goût différent et des souvenirs différents. Il dresse une liste quasi-complète des films arabes, américains et parfois indiens qui ont été projetés à chaque étape de sa vie dès les années cinquante jusqu’à une période récente, en décrivant l’émotion qui accompagnait le fait de voir le film, ainsi que les souvenirs qui y sont liés.
Qui dit souvenirs dit nostalgie. Selon cet état d’esprit collectif dont souffrent beaucoup de gens aujourd’hui, même les plus jeunes, le passé est beau et le présent est plus laid toujours. Nous trouvons cet aspect se dégagent tout au long du livre. Par exemple, l’écrivain déplore le drainage du lac Mariout ou la disparition de plusieurs anciennes salles de cinéma.
Cet écrivain avoue dans la préface du livre qu’il n’aime pas écrire ses mémoires, cependant, « s’ils sont en relation avec le cinéma, pourquoi pas ? »
D’ailleurs, beaucoup d’écrivains arabes comme Naguib Mahfouz, Yehia Haqi ou Abas El Aqad ont écrit sur leur relation avec le cinéma dans leurs romans, mais le fait de recueillir ces mémoires sur le cinéma dans un livre est rare. Nous pouvons mentionner comme exemple de « ce genre littéraire », qui n’est pas encore classé comme genre littéraire à part, le livre de Jérôme Prieur, Le spectateur nocturne, qui est une anthologie des récits et des mémoires de spectateurs des salles obscures « sans qualités » mais qui expriment leur propre fiction du cinéma ; mais aussi le livre de Marie-Claude Bénard, La sortie au cinéma : palaces et ciné-jardins d’Egypte, 1930-1980 qui porte un regard sur la société égyptienne et l’évolution du cinéma dans ce pays depuis ces origines, à travers le témoignage d’une trentaine de personnalités : réalisateurs, acteurs, scénaristes, etc
Enfin, Ibrahim Abdel Méguid annexe un certain nombre de ses critiques de cinéma, publiés dans un nombre de revues égyptiennes, sur des films arabes et étrangers, comme « l’Immeuble Yacoubian »et « J’aime le cinéma », parmi les films égyptiens assez récents ; « le chant du rossignol », un ancien film égyptien adapté du roman de Taha Hussein ; « un peu de peur » un film de Hussein Kamal adapté d’un roman du même titre de Tharwat Abaza ; et parmi les films étrangers : « le vieil homme et la mer », adapté d’un roman d’Ernest Hemingway, et « Titanic ».
Nous pouvons conclure que la relation entre la littérature et le cinéma prend des formes différentes, et peut être dans le futur proche nous en verrons d’autres formes. Merci Ibrahim Abdel Méguid pour ce texte qui nous rappelle les salles de cinéma, les rues et les saveurs d’autan.